J’ai beaucoup écrit dans ma vie. Des milliers de pages, plus de vingt-cinq livres publiés. Mais aujourd’hui, je n’y arrive plus. Et pourtant, il me semble que j’aurais encore des choses à dire. Alors j’ai décidé de profiter du site du réseau pour m’épancher.
Pas d’engagement cependant : aucune régularité stricte ni dans la fréquence, ni dans les sujets. Ainsi, aujourd’hui, je vous communique un bref chapitre d’un vieux livre que j’ai trouvé dans ma bibliothèque, dans laquelle je m’efforce de mettre un peu d’ordre. Ce livre d’Alain Hervé a été publié en 1979 aux Éditions Stock sous le titre L’homme sauvage.
Serge Mongeau
Le luxe en hiver avant de mourir
L’idéal, oui, l’idéal serait de conserver en permanence par rapport à sa vie un recul suffisant pour ne pas confondre l’accessoire et l’essentiel. Le sérieux n’est pas où nous croyons. L’essentiel, c’est de se souvenir que nous sommes en vie pour vivre. L’accessoire, c’est de croire que nos obligations quotidiennes sont notre vie.
Pratiquons l’autocritique humoristique. On dit, ça se dit partout, tous nous le disons : « Je suis pressé, je n’ai pas le temps. » Qu’est-ce qui nous presse d’aller si vite à notre mort? Car nous n’allons que là. Alors, ralentissons, nous avons tout notre temps. Prenons le temps. Le temps, c’est le luxe, le luxe absolu.
On peut vivre autrement. Vivre luxueusement, c’est-à-dire nonchalamment.
Recettes pour ralentir la vie avec luxe et sans qu’il en coûte rien : écrire à ses amis des cartes postales. Regarder les vieilles photos de sa famille. Interroger ses parents, ses grands-parents sur leur vie. Écrire leur vie. Planter des arbres – partout – sur le terrain que l’on possède et celui qu’on ne possède pas. Collectionner des diapositives représentant les primitifs italiens et les regarder pendant une longue soirée. Fabriquer une soupe à laquelle participent vingt sortes de légumes et parfumée à la coriandre. Enregistrer les cris des mouettes sur magnétophone pour ramener un morceau de mer à domicile et se gonfler l’âme les jours de creux. Commencer à peindre ou à jouer du piano sur un vieil instrument désaccordé et découvrir sa propre musique. On peut aussi chanter seul en voiture à tue-tête. Changer les meubles de place dans notre maison. Renoncer solennellement à jamais garder des oiseaux en cage. Ne faites pas à un oiseau symbole de liberté ce que vous refusez que l’on inflige à vos semblables ou à vous-même. Un oiseau et un homme, c’est vivant de la même manière.
Écrivez à l’auteur d’un livre qui vous a plu pour lui faire plaisir, le sortir de sa solitude. Ça ne lui sera pas indifférent. Prétendez que vous êtes un dessinateur humoristique mondialement connu et commencez à dessiner librement, à chercher votre trait. Ce n’est pas facile, mais ça vaut la peine d’essayer.
Après avoir ralenti sa vie, on se trouve dans de meilleures conditions pour la changer. Il n’est pas possible de changer sa vie sans l’avoir ralentie.
La vitesse empêche de voir, empêche de comprendre. Exercice : choisissez une route que vous avez l’habitude de parcourir en automobile. Parcourez-la à vélo, elle devient différente. Parcourez-là rapidement, plus lentement, très lentement, regardez les insectes dans les talus. Arrêtez-vous, fermez les yeux et écoutez. Écoutez la pluie sur les toits, sur la terre, sur une mare, dans les feuillages des différents arbres, partout c’est différent.
L’hiver, c’est une belle saison parce que c’est la saison du ralentissement. Toute la nature se remonte l’édredon jusqu’à hauteur des yeux et réfléchit.
Nous, nous restons dans la chaleur du lit à regarder la télévision, la nôtre, celle qui marche toute seule en vingt-cinq dimensions sur deux cent cinquante chaînes et deux millions de programmes, dans l’intérieur de notre tête.
Crédit photo : Penny Bubar freeimages.com
Très beau texte M. Monge au. Merci +++
merci pour ce très joli texte qui mérite d’être lu et relu à volonté jusqu’à intégration de l’esprit de ce dernier.
Bonjour ! hou la la …Voilà qui me fait réfléchir! vous avez raison,aujourd’hui malgré la pluie,je vais marcher!!
Merci et bonne journée!
La plus grande des richesses consiste à profiter de l’instant présent. …
Oui ralentir chroniquement pour vivre tous ces moments seul avec la vie qui nous entoure, que l’on porte…. puis partir en souriant à pas feutré à la rencontre de l’autre , des autres à participer à le joie profonde de voir pousser les carottes et les coquelicots qu’ensemble on a planté et plantera encore! Ralentir au « je » et au « nous »! Merci M.Mongeau pour ce jardin magnifique auquel vous avez tant et généreusement participé, il y a longtemps que votre parole encourage mes pas.
J’aime souvent plus regarder dehors ou y aller que aller sur Facebook. Là par contre j’ai très apprécié ce beau texte. Merci M Mongeau.
Je requitte donc facebook pour aller dehors.
À plus.
Merci de partager cette réflexion écrite il y a 38 ans, déjà pertinente à l’époque pré-informatique, quand la société était moins avide de cette connexion perpétuelle qui nous aspire le cerveau…
Merci Serge de revenir à la plume (la tienne ou celle d’autres qui ont alimenté la tienne) sur le site du RQSV.
Quelle que soit la fréquence, ce seront toujours des moments inspirants…
La preuve en est déjà la quantié de commentaires sur ce premier texte!